Antony le Moigne, double champion du monde toujours en titre, champion d’Europe, quintuple champion de France de canicross et double champion de France de caniVTT, affiche un palmarès aussi long que les pattes de Phoenix et Opale, ses deux Greysters avec qui il partage l’adrénaline de la compétition mais aussi son quotidien d’homme passionné et humble.
Véritable ambassadeur de la discipline, cet ancien triathlète ne compte pas son temps et son énergie pour faire connaître et transmettre le canicross un peu partout dans le monde. Entretien avec une bête de course aussi dynamique que sympathique.
Peux-tu nous présenter tes deux bêtes de course ?
Phoenix est un Greyster (ndlr : croisement entre un lévrier Greyhound et un braque allemand) de six ans issu d’une lignée norvégienne. Opale, 21 mois, provient quant à elle d’un élevage tchèque. J’ai choisi deux lignées différentes pour pouvoir, à terme, leur assurer une descendance. Au niveau du caractère, ce sont des chiens qui ont pas mal de points communs avec les braques : ils ont besoin de beaucoup d’exercice et sont assez proches de l’homme, voire assez pots-de-colle. Mais comme n’importe quel autre chien, c’est ce qu’on fait d’eux qui détermine leur tempérament. Avoir un chien endurant, puissant et rapide ne sert à rien quand on ne sait pas exploiter ce potentiel. C’est un peu comme une Ferrari. Si on n’a pas les compétences pour la piloter, on n’ira pas très loin avec.
Phoenix et Opale sont avant tout des chiens de famille. Ils ne vivent pas en chenil et je ne les sors pas uniquement pour faire du sport. Ils sont complètement intégrés dans notre foyer et donc parfaitement équilibrés. C’est grâce à cette relation du quotidien qu’ils sont aussi à l’écoute et aiment autant travailler. Phoenix a remporté son premier titre de champion de France de canicross à l’âge d’un an et un jour (ndlr : l’âge minimum pour participer à une compétition de canicross est de 12 mois). Opale a déjà participé à une douzaine de compétitions, qu’elle a toutes remportées jusque là.
Comment es-tu tombé dans la marmite du canicross ?
Je rêvais depuis longtemps d’avoir un chien, ce qui était incompatible avec ma carrière de triathlète de l’époque puisque je voyageais beaucoup. Quand j’ai arrêté le triathlon, j’ai enfin pu concrétiser ce projet de longue date et adopter Canyon, mon Husky. Je n’ai jamais cessé de courir et il m’accompagnait souvent dans mes sorties, jusqu’au jour où j’ai découvert qu’il s’agissait d’un vrai sport avec ses règles, ses fédérations et ses compétitions. Nous avons participé à une première course ensemble et avons adoré ça. Entre temps j’avais pensé à me remettre sur des distances plus longues comme le marathon, mais quand j’ai découvert le canicross j’ai décidé de me spécialiser sur les efforts plus courts et plus intenses. J’aime aller au bout des choses et me donner à fond pour réussir ce que j’entreprends.
Malheureusement j’ai perdu Canyon le 1er décembre 2016. Il était atteint d’une tumeur à l’estomac et j’ai choisi, non sans mal, de le laisser partir après deux mois de combat contre la maladie. Je pense encore à lui tous les jours. Il était très charismatique. Le genre de chien qui se fait respecter de tous les autres dans une meute sans avoir à hausser le ton. Phoenix a beaucoup appris grâce à lui, avant de transmettre à son tour à Opale.
Qu’est-ce qui te fait tant vibrer dans ce sport ?
Ce qui m’anime en premier lieu, c’est le fait de dépasser nos limites et d’optimiser ce qu’on peut s’apporter avec mes chiens dans l’effort commun. Au départ d’une course, mon but principal n’est pas de battre le mec à côté de moi mais de réaliser une belle course, en allant chercher l’osmose avec Phoenix ou Opale.
À quoi ressemble le quotidien d’un champion du monde de canicross ?
L’entraînement est quotidien, aussi bien pour moi que pour les chiens. Je travaille avec eux de manière très variée pour éviter la lassitude : du libre, de la traction, du VTT en libre, en traction, de la natation et de la proprioception. Tous les deux ont de très bonnes capacités physiologiques à la base, je préfère donc me concentrer sur l’essentiel à mes yeux, l’envie et la motivation.
Deux ou trois mois avant un gros championnat, le rythme s’intensifie et peut atteindre 3 séances par jour. À ce moment, je réduis aussi les stages que je donne en parallèle pour pouvoir me recentrer sur moi et sur mes chiens.
À côté de ça, nous avons aussi une très bonne hygiène de vie. De mon côté, je n’ai jamais été attiré par l’alcool et j’ai toujours mangé sainement. Je suis également très vigilant là-dessus avec mes chiens. Pour reprendre l’exemple de la voiture, si on a une Ferrari et qu’on n’y met pas le bon carburant, on fonce droit vers la panne. Ce que je fais pour moi, je le fais donc aussi pour eux : échauffement, hydratation, alimentation.. rien n’est laissé au hasard. Ils ont un suivi vétérinaire très régulier pour réaliser des bilans sanguins et des examens permettant de mesurer leur état de fatigue musculaire. Le Greyster est un chien qui se défonce à outrance dans l’effort, sans jamais se plaindre s’il souffre. Je suis donc très vigilant.
À ce propos, Phoenix est à l’arrêt depuis plusieurs semaines. Comment va-t-il ?
Il souffre d’un arrachement du tendon du biceps, probablement dû à un faux mouvement lors d’une sortie en libre. J’avais remarqué qu’il boitait depuis le début de la saison. J’ai d’abord pensé à une petite blessure sans gravité au coussinet, mais ça a perduré et nous avons même dû abandonner une course au bout d’1 kilomètre. Comme il ne s’agissait pas d’une grosse boiterie, il était difficile de localiser la gêne. Après une batterie d’examens (scanner, IRM, bilans sanguins), le verdict est tombé.
Deux solutions se présentent à nous. La première c’est l’opération, avec peu de chances de pouvoir recourir pour lui. La deuxième, c’est l’injection de PRP (ndlr : plasma riche en plaquettes) qui permettrait de consolider et cicatriser son tendon. J’opte pour celle-ci en premier lieu, beaucoup moins intrusive que la première, afin d’être sûr de ne rien regretter. Evidemment si ça ne fonctionne pas nous nous tournerons vers la chirurgie. En attendant nous avons commencé un protocole de soins pour le soulager. Il ne peut ni nager ni courir, ce n’est pas évident à gérer pour un chien aussi dynamique que lui. Je continue toutefois à travailler la proprioception, en douceur, pour entretenir sa musculature.
Nous avons vu plusieurs vétérinaires et aucun ne se prononce sur ses chances de recourir. J’ai déjà déjoué plusieurs fois les pronostics dans ma vie alors de mon côté, je reste optimiste, en espérant que son nom soit prédestiné. Si tout devait s’arrêter j’aurais beaucoup de mal à m’y faire car j’aurais préféré choisir ce moment moi-même. Dans tous les cas je serai présent au championnat du monde de canicross en Pologne cette année pour remettre mon titre en jeu. Evidemment je rêverais d’y participer avec Phoenix. Je sais qu’on ne sera pas au top de notre niveau, ce sera donc une course différente de d’habitude. S’il n’est pas apte à prendre le départ, je le prendrai de toute façon avec Opale.
Le canicross et la course à pied sont-ils deux sports complémentaires ? Quels sont les bénéfices de l’un pour l’autre ?
Ces deux sports sont complémentaires en effet. Je pratique le trail en plus du canicross, ça me permet de connaître mon état de forme, les axes à améliorer pour le canicross, mais aussi de développer des qualités qui me serviront pour gérer la survitesse avec les chiens, comme dans les descentes, là où certains faiblissent, souvent par excès de prudence. Je ne me repose pas sur mes chiens, je cherche toujours à être meilleur pour eux.
Attention toutefois aux amalgames, un bon coureur ne fera pas forcément un bon canicrosseur. Un champion du 5 000 mètres qui court avec un chien issu même d’une grande lignée n’est pas assuré d’être le vainqueur sur un canicross. Il faut d’autres qualités que la vitesse. D’abord, un bon gainage, surtout si le chien est costaud et puissant. Le renforcement musculaire en général est important car c’est assez traumatisant pour le corps d’être en survitesse. La machine doit être prête à recevoir toute l’énergie que dégage le chien. À titre d’exemple, seul je cours entre 19 et 20km/h sur un 5km. Avec Phoenix, on atteint les 24-25km/h. Et encore, je sais qu’on peut faire mieux !
Un bon canicrosseur doit aussi apprendre à courir en étant relâché pour ne pas être en opposition avec le chien, tout ça demande pas mal de coordination. Enfin, une foulée aérienne, ample, avec un temps d’appui très court est indispensable pour pouvoir bénéficier le plus longtemps possible de l’effort du chien. Il faut savoir que chaque impact au sol de la part de coureur est un frein pour le chien. En gros, il faut apprendre à voler. Toutes ces techniques, je les transmets lors de stages que je donne régulièrement durant l’année. Ils s’adressent à tous, du débutant au plus confirmé.
Le canicross était encore une niche il y a quelques années voire quelques mois. Aujourd’hui il attire de plus en plus de personnes, dont beaucoup d’amateurs. Quel regard portes-tu là-dessus ?
Je trouve ça top ! C’est souvent l’élite qui permet la médiatisation d’un sport mais il ne faut pas oublier que c’est la masse qui le fait vivre. J’ai la chance de pouvoir beaucoup voyager grâce au canicross, notamment au Mexique, en Colombie ou aux Etats-Unis. Partout, c’est un sport qui explose. J’ai assisté à des courses avec plus de 1 000 personnes au départ et je trouve ça hallucinant. La sauce prend. C’est dans l’air du temps, on a de plus en plus tendance à se tourner vers des choses simples et vers des loisirs de nature. Courir avec son chien est quelque chose de facile, peu onéreux et qui provoque de grandes sensations.
Le niveau est également de plus en plus relevé avec des coureurs qui visent avant tout la gagne et les titres. N’y a-t-il pas des risques de dérives comme le dopage ou une hausse d’abandons des chiens de course ?
Tous les championnats prévoient des tests de dopage, aussi bien pour le coureur que pour le chien. C’est une très bonne chose. Là-dessus, je ne m’inquiète pas trop. En revanche, effectivement dès qu’il y a de l’argent et du prestige en jeu, l’être humain n’est pas toujours réglo. On assiste déjà à des choses pas très louables, pas qu’en France d’ailleurs. Certains achètent 5 ou 6 chiens pour ne finalement en garder qu’un, celui qui fait l’affaire. Heureusement, des cas comme ça restent marginaux.
En tout cas ces gens-là seront peut-être bons sur l’instant mais ne pourront jamais performer et durer. Le secret pour ça, c’est l’amour, le plaisir et le respect.
On voit aussi des maîtres qui prêtent leurs chiens à d’autres coureurs pour les compétitions. Ton avis là-dessus ?
C’est de plus en plus fréquent oui, et je n’ai rien contre. Je me suis pas mal interrogé à ce sujet. Mais je ne souhaite pas prêter mes chiens. Deux raisons à cela. D’abord, nous avons mis en place des réflexes, des codes et des interactions qui nous sont propres. Ensuite, je n’ai pas peur de le dire, c’est un peu aussi par égoïsme. Pour avoir les résultats qu’on a aujourd’hui, c’est beaucoup de travail au quotidien et je ne vois pas pourquoi quelqu’un d’autre que moi en profiterait.
Peut-on vivre du canicross aujourd’hui ?
On peut comparer le canicross au judo. Seule une poignée d’athlètes peuvent en vivre. C’est le cas d’Igor Tracz, champion du monde de caniVTT ou de Lena Boysen, multi championne de caniVTT qui est à l’origine de la création des Greysters. Moi j’ai toujours mon boulot à côté, car je souhaite garder mon indépendance financière et éviter que le canicross ne devienne une pression au quotidien. Ça me fait des journées plus que chargées. Par chance, ma famille me soutient beaucoup dans cette aventure.
À côté de ça il y a de plus en plus de business qui se développe autour du canicross. Ça ne me dérange pas tant que c’est fait sainement. Prenons l’exemple du fondateur de la boutique Le Canicrosseur. C’est quelqu’un de passionné qui a toujours de très bons conseils. En revanche, il y a aussi des personnes moins honnêtes qui surfent sur ce nouvel engouement et dont il faut se méfier.
Toi qui voyages beaucoup… Comment se situe la France par rapport aux autres pays en termes de pratique ?
Je dirais que nous sommes plutôt bien lotis et bien avancés. Nous avons la chance d’avoir une grande quantité et une grande diversité de courses, des personnes de qualité et passionnées sur le terrain, des clubs et des adhérents de plus en plus nombreux. En France le canicross est également reconnu par le ministère de la Jeunesse et des sports grâce à l’investissement des fédérations. Elles font un boulot remarquable, même si elles n’avancent pas toujours dans le même sens. C’est là mon seul regret.
Est-ce que le canicross pourrait un jour être représenté aux Jeux Olympiques ?
Lors d’un voyage en Colombie, j’ai eu la chance de pouvoir rencontrer le ministre des Sports de ce pays. Il fait aussi partie du Comité international olympique et c’est donc un sujet que nous avons abordé. Le canicross comme discipline olympique, ça me paraît compliqué et je n’y tiens pas trop. Plus un sport est médiatisé, plus il y a des risques de dérives, au détriment de l’animal. Je pense notamment au monde équin. En revanche j’aimerais beaucoup voir le canicross faire son entrée dans les sports de démonstration aux J.O. Je suis en lien régulier avec ce monsieur, j’espère qu’on y arrivera. C’est beaucoup de travail dans l’ombre pour faire connaître notre belle discipline.
Un conseil pour ceux qui souhaiteraient se lancer ou qui débutent le canicross ?
Il faut toujours garder le plaisir comme fil conducteur. C’est un sport où on n’est pas seul, il faut être attentif à l’autre. Ensuite, il est nécessaire de bien s’équiper, tant pour la sécurité du chien que pour celle du coureur. Enfin, y aller progressivement et varier son entraînement !
Merci Antony !
Si tu souhaites en savoir davantage sur Antony, tu peux faire un tour sur son site Internet dédié au canicross ou t’abonner à sa page Instagram.
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